.

 

Brandan (ou Brendan)

     n’est pas parti au hasard vagabonder sur les mers. Ses voyages relèvent d’une soif spirituelle et étaient confortés par des connaissances géographiques et astronomiques confirmées


L’ Amérique était elle connue avant Christophe Colomb ?

 

     Tout le monde a appris que l’Amérique a été découverte, en 1500, par Christophe Colomb. Mais si vous êtes un peu curieux, vous vous êtes aperçus, au cours de vos lectures, que les basques y allaient à la pêche à la morue depuis le XII° siècle. Et vous savez aussi que, bien avant cette date, les vikings avaient abordé ces rivages.


 

Parlons en des vikings !

 

     Ces derniers terrorisaient toute la partie ouest de l’Europe et organisaient des raids nombreux sur l’Irlande dont ils convoitaient les richesses. De là, ils remontaient sur l’Islande qu’ils avaient colonisée, puis retournaient chez eux.

 

     Leurs raids incessants avaient poussé, dès le VII° siècle de nombreux irlandais à s’enfuir de leur terre natale et à se réfugier en Gaule, en Islande et en « Grande Irlande ». Les irlandais réfugiés en Islande furent chassés au IX° siècle par les vikings et se réfugièrent , eux aussi, en « Grande Irlande ».

 

     Les sagas nordiques nous rapportent que, dès le XI° siècle, les vikings tentèrent, en vain, de s’implanter sur le continent qu’ils avaient aperçu dans leurs voyages d’Islande au Groenland repoussés à chaque fois par des « celtes ».

 

     Par contre, il est difficile de dire depuis quand ces celtes étaient implantés en Amérique (grande Irlande). Le grand personnage « légendaire » concernant ces voyages transatlantiques vécut au VI° siècle et s’appelle Brandan. L’existence de ce moine (abbé) est attestée par divers écrits du VII° siècle.

 

     Si de nombreux livres concernant Brandan sont parus, peu de ces ouvrages ont une valeur historique. En effet, ils reprennent souvent les récits du moyen âge avec leur lot de merveilleux rajouté par chaque copiste successif.

 

     En France, les récits de ses voyages sont connus à partir du XI° siècle, grâce à la diffusion de copies de textes antérieurs, datant du X°, voire du IX° siècle. Mais c’est à partir du XII° siècle que sa « vie » connaît une grande diffusion dans toute l’Europe.

 

     La conquête de l’Amérique par les espagnols semble guidée par la recherche de l’île Brandan située quelque part dans l’atlantique nord. Sur les mappemondes antérieures aux voyages de Christophe Colomb, elle est située, soit à Cuba, soit à Saint Domingue.

 

Les moines celtes ont toujours été de grands navigateurs.
 

 

     Leur désir de prosélytisme était grand, et, peuple insulaire, ils ne pouvaient convertir les autres peuples que par voie maritime. Certains gagnèrent le continent et s’implantèrent en Bretagne*, d’autres se dirigèrent vers les îles du nord ouest de l’Europe.

 

     Les moines celtes s’imposaient, aussi, des « stages d’ascèse » dans des îles désertiques ou semi désertiques afin de conforter leur foi et de gagner des années de purgatoire.


 

Et puis il y a le paradis.

 

     Il est écrit qu’après la mort, tout bon chrétien connaîtra le « Paradis Terrestre ». Et pourquoi attendre le jugement dernier ? Pourquoi ne pas tenter de s’y approcher de son vivant ? Mais de quel côté chercher ?

 

     Au V° siècle, la religion catholique est naissante dans les pays celtiques et les légendes ancestrales font état d’un royaume, par delà la mort, dans une île située à l’Ouest, l’île d’Avalon. De plus, les celtes savent qu’il y a des terres à l’ouest de l’océan atlantique.

 

     Si la recherche du paradis terrestre nous semble naïve, il faut admettre que les celtes, qui commerçaient avec les phéniciens, savaient que la terre était ronde et qu’il y avait une grande partie de sa superficie qui était inconnue. Donc, si le paradis « terrestre » existait ce devait être dans une région encore inconnue quelque part à l’ouest. (1)

 

     Les armoricains sont des navigateurs chevronnés (ils étaient capables de mesurer la vitesse d’un navire ainsi que la longitude), connaissances acquises en échangeant avec les navigateurs phéniciens avec qui ils commerçaient  l’étain armoricain nécessaire à la fabrication du bronze. Phéniciens et grecs avaient conquis commercialement et spirituellement la Gaule. D’ailleurs lors de l’occupation romaine, les druides, en signe de résistance, s’exprimaient en grec (dixit César).

 

     Lorsque le catholicisme s’implanta en Irlande, des monastères furent crées sur toute la côte. Ces monastères drainèrent une grande partie de « l’intelligentsia » de l’époque : fils aînés de nobles et de chefs de clan, ainsi que nombre d’anciens druides convertis.

 

     Cette implantation se fit à l’écart des invasions « barbares » car les hordes, venues du centre de l’Europe, n’étaient pas composées de peuples marins.

 

     Les monastères prospérèrent jusqu’au IX° siècle et devinrent les centres qui détenaient la connaissance et perpétuaient le savoir antique, tandis que la gaule baignait dans l’obscurantisme. Héritiers spirituels des civilisations méditerranéennes, les celtes étaient très au fait des connaissances géographiques et astronomiques : Seuls des moines irlandais purent expliquer à Charlemagne le phénomène des deux éclipses successives qui se produisirent pendant son règne (VIII° siècle) et les calculs qui permettent de les prévoir.

 

Loin du catholicisme Romain.

 

     La forte implantation de ce catholicisme, issu davantage des traditions byzantines que romaines, explique aussi cette soif de prosélytisme. Dans ces régions, la religion catholique est apportée par des évangélisateurs de tradition syrienne et copte alors que l’Europe est sous domination germanique.

 

     Au VI° siècle, à Rome, l’évêque de Rome (dont l’autorité papale n’est pas encore affermie) essaye de s’imposer comme premier évêque. Pour y parvenir, il s’appuie sur les francs dont la puissance augmente. Mais les peuples Wisigoths et Burgondes contestent cette autorité. De plus en Armorique, dès le V° siècle, les bretons luttent contre les francs et l’autorité de l’église de Rome. (2).

 

     Ce n’est donc pas le culte romain qui est enseigné. La religion est bâtie autour des abbés, la règle monastique est prédominante. Cette règle imposait d’aller au moins une fois dans sa vie en pèlerinage à Jérusalem. Si cela s’avérait impossible, les moines pouvaient « s’arranger » en allant se retirer dans un endroit isolé afin d’y faire pénitence. Ainsi commencèrent les migrations des moines celtes tant vers la Bretagne continentale que vers les îles occidentales, de préférence dans des lieux de plus en plus retirés : les îles Hébrides, Shetland, l’Islande et plus loin encore. Certains furent emportés par les tempêtes et les courants jusqu’en Amérique, d’où ils revinrent et firent part de leurs aventures à leurs contemporains.

 

Vie de BRANDAN

 

Si sa vie est « officiellement connue », les textes concernant sa jeunesse tiennent plus de la légende.

 

Jeunesse de Brandan

 

     Brandan serait né vers l’an 485 au sud ouest de l’Irlande, près de Tralee, dans le district de Munster. Fils de Finnlug ( du clan des Ciar ) et de Cara, il fut éduqué par son oncle Alta, noble de la race des Eoghans. A cette époque, les enfants n’étaient pas éduqués par leurs parents , mais par leur oncle maternel (cette pratique s’appelait le « fosterage »). Sa marraine Ita, qui reçut la charge de l’enfant dès qu’il fut âgé d’un an pour une période de 5 ans, était une nonne retirée près de Limérick pour y faire pénitence. Lorsque sa formation fut achevée, l’adolescent décida de rejoindre le monastère de Lancarvan en Cambrie (Pays de Galles), fondé par Cado. (3)

 

Premiers voyages de Brandan

 

     Les premiers voyages reconnus de Brandan se firent vers la Bretagne. En effet, c’est du Pays de Galles que les bretons, fuyant les raids des saxons, partaient s’établir en Armorique. Ces émigrants étaient encadrés par leurs autorités religieuses (Saints fondateurs de la Bretagne). Brandan partit en 530 vers la Domnoë. Auparavant, de510 à 530, Brandan fit du « cabotage » entre l’Irlande, le Pays de Galles, l’Ecosse et toutes les petites îles. Il alla ainsi dans l’île d’Aran.

 

Le Voyage en Islande

 

     Mernoc était allé faire pénitence en Islande. A l’approche de l’hiver, Barinth (son parrain) inquiet de ne pas le voir revenir, demanda à Brandan de le retrouver « avant que la mer ne se coagulat ».

 

     Brandan partit dans un coracle. Ces petits navires étaient fait de peaux de bœuf tendues sur une armature en osier. Les coutures étaient graissées avec du beurre. Ces petits navires ne possédaient pas de quille et étaient lestés par une pierre posée au fond. (D’ou la légende des saints bretons naviguant dans des auges de pierre ?)

 

     Brandan partit avec 15 autres moines. Au large de l’île aux moutons (Féroé),un de ceux-ci sacrifia sa vie en se jetant à l’eau pour éloigner les marsouins (?) qui s’étaient trop rapprochés de la petite embarcation. Le bateau étant très chargé (on avait prévu 40 jours de vivres), on faisait régulièrement halte à terre pour permettre à tout le monde de se reposer convenablement. Brandan a abordé dan le sud de la presqu’île de Reykjanes ou il fut bombardé par une éruption volcanique, un de ses disciples périt dans une coulée de lave. Son voyage l’avait conduit à l’ouest de l’Islande sur la route des icebergs : La mer des basiliques de cristal de 1800 coudées de coté, dont les fondements s’enfonçaient directement dans les eaux et ou le soleil faisait des jeux de lumières de toutes les couleurs. Après avoir amené la voile et abaissé le mât, Brandan s’enfonça sous une voûte traversant l’iceberg « avec ses franges couleur de l’argent, dur comme du marbre, tandis que la colonne qui le surmontait était du cristal le plus pur ». Brandan décida du retour quand la mer, devenue comme de l’huile, se coagula et devint lourde aux avirons.

 

     Ces descriptions des icebergs et du « pack », inconnues des écrivains latins qui propagèrent la « vie de Brandan » peuvent être considérées comme écrites de la main de Brandan.

 

     Il y eut un autres voyage vers l’Islande qui fut moins chanceux. Au cours de la traversée ; un fort vent contraire l’amena à « l’île aux oiseaux » au nord est de Terre Neuve. C’est vraisemblablement cette route qu’emprunteront plus tard l’écossais Sinclair au XIV° siècle ( guerre de cent ans) et le malouin Jacques Cartier en 1534. Ce dernier mit 18 jours pour aller de Saint Malo à Terre neuve sur un petit navire de 40 tonneaux.

 

Le voyage à Cuba

 

     Brandan « refroidi » par l’aspect de l’Islande qui tenait plus de l’enfer (ou du purgatoire) que du paradis terrestre décide de repartir cette fois vers le sud. Son premier voyage entrepris à bord d’un coracle est un échec. Il confie son désespoir à Ita. Sa marraine lui répond qu’on ne va pas au paradis terrestre, destiné aux bons chrétiens, dans un bateau en peau de bête. Fort de ces conseils, Brandan fera construire un bateau en bois pour son 3° voyage.

 

     Ce voyage se réalisa aux environs de l’année 545. Les irlandais ne réalisaient pas de bateaux en bois. Les charpentiers marine se trouvaient en Armorique, et c’est de Bretagne que Brandan , accompagné de son neveu, Malo, entreprit cette traversée. L’expédition était composée de 95 hommes répartis sur trois pontos celtes. Le voyage se passe sans histoire jusqu’aux îles Canaries. Ensuite le périple devient pénible sous la chaleur et le manque de vent. Il faut ramer, les vivres manquent. Puis c’est un cyclone qui s’abat sur la petite armada et deux navires périssent corps et biens. Après la tempête, les hommes, découragés, voient flotter une feuille « aussi grande qu’une peau de bœuf ». Puis on repêche des « baies rondes, grosses comme des tête d’enfant, couvertes de cheveux blonds ». Tranchées en deux par une hache elles libèrent du lait sucré : Envoi de Dieu qui vient à leur secours. La preuve est là : Le paradis terrestre n’est pas loin.

 

     Brandan accoste à l’île verte ou île délicieuse (Cuba) où il séjourne presque deux ans. Sur l’île, nos navigateurs découvrent des arbres portant des grappes de fruits rouges de la taille d’une pomme. D’autres arbres portaient des fruits ressemblant à des « pommes de grenette ( rainettes) et leurs branches pliaient jusqu’au sol sous le poids. Après avoir fait provision de baies renfermant du jus rafraîchissant et doux comme du miel, Brandan repart vers le Nord Est en profitant du grand courant de l’île verte (courant de Floride, puis Gulf Stream) qui le ramena en Europe.

 

Fin de la vie de BRANDAN

 

     Agé de 69 ans, Brandan quitte la Bretagne et fonde un monastère à Conflert (comté de Galway) en 561. Il s’éteignit le 17°jour des calendes de juin de 575, âgé de 90 ans, près de sa jeune sœur Briga, auprès de qui il s’était retiré. (4)

 

 

Notes.

 


(1)
  Pendant des siècles, les chrétiens ont cru à la réalité du paradis terrestre. Le mot paradis vient de l’ancien persan. Il désignait un verger entouré d’un mur protecteur. Cela s’explique par le fait que notre paradis est le rêve de peuples du désert. L’ histoire d ‘Adam et Eve a été transmise aux juifs par un peuple qui affirmait avoir erré pendant quarante années dans le désert avant de trouver une contrée ou « coulaient le lait et le miel ».

             Même si Origène ( 185 - 254 ) y voit une allégorie, durant 3000 ans les juifs, puis les chrétiens et les musulmans, ont cru au caractère historique du récit de la Genèse. Saint Augustin ( 354 – 430) affirmait : « Nous devons nous tenir pour averti de ne pas voir là une manière figurée de parler, mai le récit de faits réels qui ont eu lieu. ». Luther (1483 – 1546) est formel à cet égard : « Les fantaisies d’Origène sont indignes d’un théologien ». Calvin (1509 – 1564) affirme : «  Quant aux allégories d’Origène et de ses semblables, il les faut entièrement rejeter, car Satan, par une mauvaise astuce, s’est efforcé de les introduire en l’Eglise, afin que la doctrine de l’Ecriture fût ambiguë et n’eut rien de ferme ni de certain ». Pour les pères du concile de Trente, la réalité du jardin d’Eden est une vérité historique ».

Au début du XV° siècle, le cardinal Pierre d’Ailly rédige l’Imago Mundi qui intéressera Christophe Colomb. Dans cet ouvrage de géographie, le cardinal assure  « le paradis terrestre est un lieu agréable, situé dans certaines régions de l’Orient à une longue distance par terre et par mer de notre monde habité. Il est tellement élevé qu’il touche à la sphère lunaire et l’eau du déluge n’y parvient pas. Les eaux qui descendent de cette montagne très élevée forment un très grand lac. De ce lac découlent les quatre fleuves du paradis : Le Gange, le Nil, le Tigre et l’Euphrate, bien que pourtant leurs sources paraissent se trouver en divers lieux. »

            En 1498, lors de son troisième voyage, Christophe Colomb touche le continent américain à l’embouchure de l’Orénoque. Y découvrant une grande étendue d’eau douce qui ne se mélange pas à l’eau de mer, il pense qu’elle ne peut provenir que du paradis terrestre. Pour lui, le paradis se trouve dans la région équatoriale, à une altitude très élevée, à la source de l’Orénoque : « Je ne prétends pas  dire par là qu’on puisse se rendre en naviguant jusqu’au point où se trouve cette hauteur, mais je crois que c’est là que se trouve le paradis terrestre, jusqu’où personne ne peut arriver, si ce n’est par la volonté divine ».

 

 

(2)  En Bretagne, Nominoé et ses successeurs tenteront de s’affranchir de la tutelle franque Dès le V° siècle, ils marchent à l’est et repoussent les limites de leur territoire. Ces conquêtes territoriales s’accompagnent d’une volonté d’émancipation religieuse et l’autorité de l’évêque de Tours est contestée. En 851, à la mort de Nominoé, les évêques bretons ont rompu tout rapport avec l’évêque de Tours, malgré les efforts des papes Léon IV et Benoît III. Le roi Salomon, second successeur de Nominoé, bien que désireux de se concilier les grâces de Rome, refusera de reconnaître la primauté de l’archevêque de Tours.

 

 

(3)  Kadok (ou Cado) était le fils unique de Sandée, roi de Glamorgan. A la mort de son père, il vendit les propriétés paternelles afin de bâtir un monastère dans la vallée de Carvan près du canal de Bristol.

 

 

(4)  Les dates données sont extraites de différents récits plus ou moins concordants. Elles sont à prendre avec une marge d’erreur de 3 ans en plus ou en moins. Ce qui est sûr est que Brandan mourût au milieu des siens (sa sœur) et que c’est cette dernière qui donna dans ses mémoires l’âge qu’avait atteint Brandan lors de son décès.

 

 Retour à l'accueil